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Grotte de Bédeilhac (France, Ariège, 09)
Michel Barbaza, professeur à l'université de toulouse 2 le Mirail, TRACES UMR5608.
Les grottes ornées pyrénéennes : sanctuaires ou espaces de vie ?
Bédeilhac : une grotte au passé tumultueux.
Un site éclaté au sein d'une immense caverne.
Un habitat et un sanctuaire étonnant : la Galerie Vidal.
Bédeilhac et son contexte.
Bibliographie succincte.
« Bédeilhac » Georges Sauvet.
Les grottes ornées pyrénéennes : sanctuaires ou espaces de vie ?
A l'image de plusieurs cavités pyrénéennes, la grotte ornée de Bédeilhac, véritable monument naturel, se développe sur près de 900 m au total. Sur son flanc droit débouche un étroit boyau ou « Galerie Vidal » d'une centaine de mètres de long, et sur son flanc gauche, 2 diverticules : le « Diverticule aux modelages » ou Galerie Jauze et le « Diverticule aux bisons » ou Galerie Jauze - Mandement. Ces développements karstiques, tout comme la grande « Salle terminale », ont eu la particularité notable d'associer, selon des dispositions spatiales assez voisines, des vestiges matériels préhistoriques et des œuvres d'art mobilier et pariétal attribuables à une même époque : le Magdalénien dans sa phase moyenne, âgé d'environ 14 000 ans.
Bédeilhac : une grotte au passé tumultueux.
L'immense caverne a connu très tôt des fouilles intensives malencontreusement relayées par des travaux d'aménagements destructeurs. Malgré les dégradations, le site a révélé un modèle d'occupation à la fois complexe et en bonne harmonie avec les données des sites pyrénéens, au cours du Magdalénien moyen, il y a près de 14 000 ans. Les lieux d'habitat désormais un peu mieux caractérisés par des travaux récents, apparaissent étroitement associés à de petits « sanctuaires » paléolithiques. La mise en perspective de cette association dans une même cavité, où voisinent des lieux de vie matérialisés par de nombreux vestiges archéologiques et des zones dédiées à l'exercice d'une certaine forme de spiritualité, constitue une approche originale du monde paléolithique. Contrairement à une idée reçue, contestable dans la mesure où elle a été appliquée de manière abusive à l'ensemble des grottes ornées, la séparation entre espaces sacrés et espaces domestiques n'était donc pas absolue.
Un site éclaté au sein d'une immense caverne.
Il était évident, à la seule vue du plan de la cavité, qu'une relation de proximité liait les deux types de vestiges. Les indices matériels de présence humaine sont ainsi systématiquement et étroitement associés à des concentrations de figures sur paroi ou sur le sol (travaux de Georges Sauvet) alors que l'immensité offrait tant d'autres emplacements.
Les fouilles archéologiques réalisées entre 1993 et 1997 ont, ainsi qu'il fallait s'y attendre, largement confirmé l'étendue des destructions et dégradations passées. Malgré ce fait, l'idée de la stricte indépendance des deux types de vestiges pouvait être écartée. Quelques solides présomptions permettent de d'aborder raisonnablement cet aspect. Parmi elles se rangent la diversité des vestiges découverts, tant restes issus d'activités de subsistance que vestiges de pierre et d'os. Ces derniers apparaissent non seulement sous la forme d'objets finis ou d'objets d'art mais aussi et de manière particulièrement instructive, sous la forme de pièces techniques attestant de la réalité du travail de débitage et de façonnage au sein même de la caverne, y compris non loin des zones ornées. Rien, dans ces conditions, ne permet de distinguer les accumulations traditionnellement considérées comme caractérisant un habitat véritable et les accumulations archéologiques de Bédeilhac. Que dirait-on si ces mêmes dépôts, au lieu d'être dispersés en divers secteurs de l'immense caverne, avaient été trouvés sous l'aspect d'un seul ensemble stratifié de plusieurs mètres de puissance contenu dans un espace clos et réduit ? Ils constitueraient l'argument indiscuté attestant la réalité d'un beau gisement archéologique, preuve incontestable d'un habitat dans la grotte. La spécificité du site archéologique est d'être composé d'accumulations dispersées associant un lieu de séjour et un petit sanctuaire. Chaque ensemble constituait autant de lieux cohérents au sein de l'univers homogène et complexe formé par la caverne. La Galerie Vidal est une de ces associations parmi les plus étonnantes.
Un habitat et un sanctuaire étonnant : la Galerie Vidal.
Les résultats de l'approche palethnologique de la Galerie Vidal ont très largement dépassé les faibles espoirs initiaux. Les vestiges proviennent de la zone d'habitat assez largement explorée naguère et de la partie ornée qui la prolonge. Les rapports de proximité immédiate et d'exclusion spatiale des deux types de vestiges garantissent ici encore l'inter-relation des deux secteurs. L'aspect le plus spectaculaire prend la forme d'un aménagement étrange de la galerie ornée, constitué par une dépression dont le remplissage s'est révélé d'une richesse exceptionnelle en pollens. Le pourcentage élevé de pollens de Pin selon des proportions sans commune mesure avec celles observées ailleurs dans la galerie, suggère que leur présence relèverait d'un dépôt intentionnel de ce végétal. Au centre de cette cuvette évidée dans l'argile stérile, les gens du Magdalénien moyen (ainsi que l'attestent les datations du carbone radioactif résiduel) ont placé intentionnellement, semble-t-il, car c'est le seul élément pondéreux du secteur, un étrange bloc calcaire dont les caractères anthropo-zoomorphes sont incontestables, à l'exemple de nombreux sites du Magdalénien moyen des Pyrénées et des Cantabres. A Bédeilhac même, les exemples d'utilisation de reliefs naturels abondent tant sur paroi que sur éléments mobiliers (voir la rubrique de G. Sauvet.)
Le sol de circulation magdalénien, fossilisé par des dépôts postérieurs, a livré de menus vestiges issus principalement de la zone d'habitat adjacente, comme de minuscules éclats de silex générés par les opérations de taille et de retouche lors de la confection des outils utilisés quotidiennement dans l'habitat. Ces objets infimes que seule une attention soutenue a permis de récolter, ont été vraisemblablement transportés dans la zone sacrée par les piétinements ou dans les plis et poils des vêtements magdaléniens. Se trouvent également associés à ces éléments, non seulement quelques menus esquilles d'os dont l'origine est certainement analogue à celle des objets précédents mais encore des fragments microscopiques d'os carbonisé qui ont parfaitement pu être utilisés, selon l'exemple que donne Altamira, sous la forme d'une poudre d'un noir intense pour la réalisation des grands bisons noirs qui dominent le passage.
La Galerie Vidal illustrerait de manière assez nette cette interdépendance des deux composantes formées par un habitat et un sanctuaire.
Bédeilhac et son contexte.
Contrairement donc à une idée reçue, complaisante aux aménagements intempestifs du siècle dernier, les grottes ornées recèlent parfois -en fait souvent, au moins dans les Pyrénées- des niveaux archéologiques pouvant varier du simple indice d'un discret passage à la lumière de torches (traces de mouchage, débris de charbons ...) à de véritables niveaux d'habitat, richement pourvus de vestiges de tous ordres. Pour Bédeilhac, site éclaté dans un univers cohérent dont il aurait été intéressant de confronter toutes les composantes, on se surprend à rêver, bien inutilement d'ailleurs, à la somme de connaissances potentielles que ce grand site aurait pu livrer si le temps et les hommes avaient été plus respectueux de ce patrimoine exceptionnel.
Bibliographie succincte.
- Barbaza M. 1998. Premières datations 14C des niveaux archéologiques de la galerie Vidal, grotte de Bédeilhac (Ariège). Préhistoire Ariègeoise, t. LII, pp. 33-44.
- Barbaza M. et Fritz C. 2001. Art et habitats magdaléniens dans les Pyrénées centrales. Les Hommes et leur Patrimoine en Comminges. Actes du Congrès des Sociétés Savantes. Saint-Gaudens. 28 juin 1999, pp. 291-320, 6 fig.
- Barbaza M. 2007. La grotte de Bédeilhac. Midi Pyrénées Patrimoine.
« Bédeilhac » Georges Sauvet.