Émergence et diffusion des innovations chez les derniers Néandertaliens et les Hommes Anatomiquement Modernes

Ce thème a pour objectif de réfléchir aux contextes d'apparition et/ou de réception de certaines innovations majeures enregistrées lors des derniers temps du Paléolithique moyen et des premiers millénaires du Paléolithique récent. L'analyse interdisciplinaire est une condition nécessaire afin d'appréhender les contextes paléosociologiques accompagnant l'émergence, la diffusion, la disparition et la réinvention d'innovations tant dans le domaine techno-économique que du point de vue des expressions symboliques.

Chronologiquement, nos recherches se déploient depuis le Moustérien récent jusqu'au Gravettien en passant par toutes les expressions de l'Aurignacien, sans oublier celles du Châtelperronien et du Néronien, tandis que, géographiquement, si l'Europe du sud-ouest demeure notre principal terrain d'enquête, des extensions ailleurs en Eurasie (grandes plaines septentrionales, Mongolie, etc.) comme des laboratoires de comparaison africains (Maroc, Afrique australe, Éthiopie, etc.) sont également mis à contribution.

Dans la vallée de la Vézère et dans les Pyrénées, une réflexion sur l'implantation dans le paysage des premières sociétés d'Homo sapiens a été conduite sur des enregistrements de l'OIS 3. Plus largement, des travaux sont en cours sur les pleins et les vides archéologiques à ces périodes à l'échelle de la moitié sud de la France. Des recherches sont également engagées sur les interactions entre changements environnementaux, animaux et Hommes à cette période charnière (projet ANR DeerPal, 2019-2022). Ces démarches reposent notament sur un ensemble de fouille programmées conjuguant relecture de sites classiques et ouverture sur de nouveaux contextes (Combe-Grenal, Gargas, Gatzarria, le Mas d'Azil, le Moustier, le Noisetier, Mandrin, Régismont-le-Haut, Aurignac).
 

a : coquilles perforées-Aurignacien-Régismont-le-Haut (photo : C. Heckel) ; b : coquilles perforées-Atérien-El Mnasra (photo : M. Lebon, E. Campmas, M. Bondetti et E. Lesvignes-MAEHT) ; c : pièce pédonculée-Atérien-El Mnasra (Photo : R. Nespoulet-MAEHT) ; d : lamelles Dufour-Isturitz-Aurignacien (Normand et al., 2008) ; e : phalange proximale d’Equidés, stries de retrait de la peau-Isturitz-Aurignacien (Photo : M.-C. Soulier).

La variabilité des industries lithiques aurignaciennes ou gravettiennes est explorée en y ajoutant une lecture de la fonciton des sites et des degrés de savoir-faire, permettant des réflexions palethnologiques et sociologiques sur les stratégies de mobilité et la composition des groupes des premières sociétés d'Homo sapiens. Des renouveaux méthodologiques ont aussi permis de mettre en évidence des différences dans les modalités de traitement des carcasses entre fin du Paléolithique moyen et début du Paléolithique récent, avec des réflexions sur la pratique du stockage (projet CNRS Momentum 2018-2020).

Les mondes néandertaliens sont abordés via des travaux portant sur l'acquisition des matières premières dans les Pyrénées ou sur l'analyse de la variabilité des productions bifaciales dans une large diachronie. Sur le terrain, la poursuite de l'exploration d'une séquence à haute définition, celle de la grotte Mandrin, apporte des éclairages cruciaux sur les dernières phases du Moustérien comme sur l'identité des premiers Homo sapiens en vallée du Rhône.
 

Plan de Régismont-le-Haut, locus 1, Aurignacien (F. Bon et R. Mensan).

Un des domaines importants dans la définition de la modernité renvoie aux sphères symboliques et funéraires. Sur ce plan, des travaux sont poursuivis sur l'exploitation des roches colorantes, sur les parures corporelles, et sur le site orné gravettien de Gargags en croisant art mobilier, parures et vestiges humains.

L'équipe a aussi participé à d'importantes révisions de séquences de référence avec, en particulier, une analyse critique des découvertes efectuées à Saint-Césaire, et d'autres révisions venant discuter la chronologie et les modèles bayésiens établis pour dater l'extinction des néandertaliens et l'émergence des Hommes modernes en Europe.

Mais le concept de modernité dépasse les études spécifiques et revêt aussi une portée épistémologique, voire idéologique. C'est pourquoi le colloque "Modernité et Préhistoire" a été organisé fin 2018 au musée de l'Homme pour réunir préhistoriens, philosophes, biologistes, généticiens et anthropologues afin de réfléchir aux tenants et aboutissants de de ce concept et d'en proposer une lecture au grand public.