Recherches sur les mines et la sidérurgie anciennes de la Sierra Menera (Teruel – Guadalajara, Espagne)

  • Responsables
Christian RICO, UMR 5608
Jean-Marc FABRE, UMR 5608
Clemente POLO CUTANDO, SAET (Teruel)
Carolina VILLARGORDO ROS, SAET (Teruel)

  • Institutions partenaires
Casa de Velázquez, Madrid
Delegación de Cultura, Dirección General de Aragón
Caja de Teruel

  • Collaborateurs
Marie-Pierre COUSTURES, UMR 5608
Julien MANTENANT, UMR 5608

Présentation générale 

Sierra_Menera_site_moderne_Ojos-Negros Formant limite entre les provinces de Teruel et de Guadalajara, la Sierra Menera est un massif constitué d'un affleurement paléozoïque qui domine, à l'est, la plaine agricole du río Jiloca. Les importants gisements d'oxydes de fer (limonite, hématite et sidérite) qu'il renfermait furent intensivement exploités depuis le XIXe siècle et jusqu'au début des années 1980 (Cf. photo ci-contre). La richesse minière de la région n'avait pas échappé aux Anciens. Dès 1988, des prospections de surface ont mis en évidence une forte concentration de ferriers (Cf. photo ci-dessous) autour des principaux gisements d'Ojos Negros (Teruel) et de Setiles (Guadalajara).
Sierra_Menera_Ferrier_Islamique Ils s'inscrivent dans une large fourchette chronologique, qui va de l'époque celtibérique tardive (IIe - Ie s. av. n. è.) jusqu'à la fin de l'époque médiévale. Le programme mis en place en 2002, et poursuivi jusqu'en 2007, a eu pour objectifs de dresser la carte exhaustive des ferriers antiques et médiévaux, de préciser et caractériser les différentes phases de l'exploitation et de mesurer l'impact économique de l'activité métallurgique par le biais de l'évaluation systématique des ferriers. Une dizaine de campagnes de prospections, complétées de sondages et de grandes tranchées stratigraphiques dans l'épaisseur des ferriers, a été réalisée depuis 2002 à ces fins.

Descriptif des résultats

Cinq années de recherches sur le terrain ont permis de mettre en évidence un district sidérurgique de moyenne importance qui, au vu des éléments matériels recueillis en surface et en fouille, connut deux périodes d'essor distinctes; la première se situe à la fin de l'époque républicaine et au Haut-Empire (fin IIe s. av. J.-C. - Ier-IIe s. de n. è.)  ; la seconde à l'époque médiévale (IXe-XVe s.), et à l'époque de la domination arabe en particulier. Grâce à l'inventaire exhaustif des ferriers et au travail d'évaluation des volumes de déchets accumulés, il a été possible d'estimer a minima la production de fer métal pour chacune des deux grandes périodes d'activité : plus de 2750 tonnes pour la période antique, au moins 7000 t pour la période médiévale. Globalement, les objectifs définis au départ du programme ont été atteints ; sur la chronologie d'une part, l'impact économique de l'activité sidérurgique de l'autre et, enfin, sur son organisation.
La datation de nombreux sites métallurgiques déjà connus et attribués, de façon trop large, à l'époque celtibérique (IVe-Ier s. av. J.-C.) faisait en effet problème et les prospections pédestres comme les sondages effectués sur certains ferriers ont permis de les « rajeunir ». Du même coup, ces corrections ont mis en évidence l'importance de la période de la domination romaine non pas tant dans le démarrage de l'activité sidérurgique dans la région que dans son essor, qui s'inscrit dans la période de stabilité et de reprise économique qui suit la fin des guerres celtibériques du IIe s. av. J.-C. Sur le plan économique, la production de fer de la Sierra Menera paraît trop faible pour avoir joué à l'époque romaine un rôle dans le commerce méditerranéen des métaux. Mais elle suffit largement aux besoins locaux et pourrait avoir même alimenté un marché régional dépassant la seule région productrice. C'est également vrai à l'époque islamique. Pas plus qu'à l'époque romaine, l'activité sidérurgique aux IXe-XIe siècles ne semble avoir été exclusivement liée à l'autoconsommation locale ; une partie du fer fut sans doute écoulée ailleurs. Il est vraisemblable que le renouveau de la production de fer à l'époque de la domination musulmane dans la Sierra Menera accompagna l'essor des centres urbains existants mais aussi des nouveaux, comme Teruel, Albarracin et d'autres, et sans doute aussi l'émergence de sites ruraux qui quadrillèrent au même moment le territoire, dans la plaine alluviale du Jiloca notamment.

Sierra_Menera_Tranchee_evaluation_site_de_Saletas Concernant l'organisation de l'activité métallurgique, les prospections n'ont pas révélé de très grands sites de production de fer, qui se distingueraient par des volumes considérables de déchets de réduction.
À l'époque romaine, l'activité est dispersée entre au moins une quarantaine de centres, d'importance très diverse. Quelques-uns d'entre eux renferment plusieurs ferriers, parfois de grandes tailles. C'est le cas du site de Las Saletas (Villafranca del Campo), étudié par le biais de grandes tranchées réalisées à la pelle mécanique en 2003 et 2004 (Cf. photo ci-contre). Particularité digne d'être relevée, ils sont presque systématiquement associés à des habitats de hauteur.
À l'époque arabe, la production de fer apparaît davantage concentrée. Cette concentration se poursuit d'ailleurs à la fin du Moyen Age, époque pour laquelle on a pu individualiser plusieurs gros ferriers (Rambla del Valle par exemple, dans la province de Guadalajara).
Sierra_Menera_Bas_fourneau En 2007, deux bas fourneaux ont été fouillés sur le site de La Juncada (Peracense). Seules sont conservées les cuves, larges de 0,50 m, de forme oblongue et enterrées, aux parois faites d'argile réfractaire rubéfiée et scorifiée sur les deux côtés, où se trouvaient les tuyères (Cf. photo ci-dessus).
Le comblement était constitué pour partie de terres de colluvionnement récentes et pour partie de petits blocs de grès rougis par la chaleur et d'argile plus ou moins fortement rubéfiée provenant de la destruction de leurs cheminées. La chronologie est incertaine ; des résultats de datation au radiocarbone de charbons de bois prélevés dans les sols de l'atelier sont attendus.



Bibliographie
  • C. Polo, C. Villargordo, Del poblado fortificado al asentamiento en llano: La evolución de los asentamientos rurales en el Sistema Ibérico Central (s. III a.C. - I d.C.), dans P. Moret et T. Chapa (éd.), Torres, Atalayas y Casa Fortificadas: explotación y control del territorio en Hispania (fines del siglo III a. de C. - siglo I d. de C.), Jaén, 2004, p. 157-173.
  • Polo, C. et C. Villargordo, L'exploitation du fer en Sierra Menera (Teruel-Guadalajara-Espagne) pendant les IIe -Ier siècles av. J.C., dans P.-Y. Milcent et M. Vaginay (éd.), L'économie du fer protohistorique: de la production à la consommation du métal, Actes du XVIIIe colloque de l'AFEAF (Toulouse, 20-8 mai 2004), Aquitania, supplément 14/2, Burdeos, 2007, p. 107-114.
  • Chr. RICO, J.-M. FABRE, C. POLO et C. VILLARGORDO, Recherches sur la sidérurgie ancienne dans la Sierra Menera (Teruel - Guadalajara). Bilan des travaux des années 2003 - 2004, Mélanges de la Casa de Velázquez, 35-2, 2005, p. 345-353.