Mine de plomb argentifère du Fournel

Responsable
- Bruno ANCEL, UMR 5608, expert associé (Attaché de conservation du patrimoine au Centre de Culture Scientifique, Technique et Industrielle de L'Argentière-La Bessée)

Institution partenaire
- Service Culturel Municipal de l'Argentière-la Bessée (C.C.S.T.I.)

Collaborateur
- Vanessa PY, MMSH Aix-en-Provence
- Christophe MARCONNET, Arkémine

Présentation générale 


Depuis 1992, la mine de plomb argentifère du Fournel est le cadre d'une fouille programmée. Le site archéologique des mines d'argent est localisé dans les gorges du Fournel, en bordure du torrent et sur le versant, de 1000 à 1400 m d'altitude. Les vestiges comprennent à la fois des ouvrages souterrains (zone d'extraction) et des structures de surface (zone de traitement).










Deux époques d'occupation bien distinctes peuvent être définies : le moyen-âge et le XIXe siècle. Les objectifs de la fouille sont de :

- Caractériser l'exploitation médiévale, notamment sur le plan de l'architecture des ouvrages, l'organisation spatiale et la dynamique opératoire sur la base des deux réseaux souterrains. Expérimenter les techniques anciennes (abattage par le feu)

- Caractériser l'exploitation XIXe siècle en confrontation constante avec les schémas théoriques des traités d'exploitation. Analyser la machinerie d'exhaure et de tirage

- Analyser finement l'organisation spatiale de l'établissement XIXe au fond des gorges et démêler les contraintes significatives tant géographiques que historiques. Approfondir l'étude des structures qui accompagnait les ateliers : habitats, bureaux, canaux hydrauliques

- Confronter les observations archéologiques aux données historiques et environnementales

- Evaluer l'apport des textes et de l'iconographie pour la période XIXe s


Descriptif des résultats

Période médiévale

Dans les gorges du Fournel et sur les escarpements qui dominent la Durance, une trentaine de points d'extraction s'échelonnent sur 1 km de longueur et environ 350 m de dénivelé. Plusieurs filons pentés ou sub-verticaux, encaissés dans des quartzites triasiques, sont attaqués depuis leurs affleurements par 5 principales exploitations distinctes qui s'enfoncent parfois à plus de 100 m du jour et qui ont dépilé au total environ 20000 m2 de minéralisation. Les données C14 indiquent une activité étalée du Xe au XIVe s.
Dans cette exploitations représentatives (c'est-à-dire étendues et bien conservées) nous observons une organisation de l'espace souterrain. Les chantiers épousent au mieux la géométrie du gisement ; ils s'en détachent des ouvrages d'assistance, peu développés, qui paraissent suivre de près le développement de l'exploitation et en gèrent les nuisances. La maîtrise de lespace qui caractérise les mines de la Renaissance est ici ébauchée, mais cette rationalisation de la mine est opportuniste et n'est pratiquement pas prospective.

Période moderne

Les filons sont redécouverts en 1785. Plusieurs tentatives se succèdent pour reprendre l'exploitation : Schlagberg 1789-92, Surrel 1835-1839, Duclos 1847-1850. A partir de 1851, sous la direction de Suquet, la mine connait un grand développement : jusqu'à 500 ouvriers ; 400 m en allongement et 160 m en dénivellé. Un village minier est édifié au fond des gorges. Dans les années 1870 l'exploitation décline. Plusieurs compagnies se succèdent à nouveau : arrêt en 1881, reprise en 1892-94. Une ultime tentative a lieu de 1901 à 1908, au cours de laquelle l'organisation de la mine est modifiée : extraction par l'aval ; construction d'une nouvelle laverie.
L'examen des archives montre que la mine de L'Argentière est au XIXe s.  l'exploitation la plus importante du département, et aussi la mieux organisée. Malgré la faible taille de son gisement, elle est remarquée au niveau français par la qualité de son minerai et l'introduction de techniques nouvelles (anglaise ou allemande) qui la rende plus performante (qualitativement) que certaines exploitations phares du territoire national.

Travaux souterrains modernes

Les ouvrages sont assez bien conservés et explorés à 70%  (soit env. 6 km) : les zones basses sont ensablées. Ils sont caractéristiques des exploitations XIXe sur filon peu penté : galerie de roulage, chambres d'abattage en partie remblayées, piliers réservés, murs ou boisage de soutènement. Certaines parties conservent leur équipement : voie ferrée, berlines, échelles, treuils, et divers mobiliers. Pour assurer l'extraction et l'épuisement des eaux des parties inférieurs, les mineurs avaient installé 2 roues hydrauliques dans la mine ; leurs vestiges sont encore visibles et les travaux d'aménagement prévoient leur dégagement. A partir de 1880 le drainage fut assuré par une galerie profonde, longue de 600 m. L'exploitation montre des facettes contrastées. Un dynamisme certain la caractérise : efforts de recherche des panneaux minéralisés ; mécanisation de l'exhaure et du triage ; adoption rapide de nouvelles techniques. A l'opposé on observe des lenteurs et des archaïsmes : organisation de l'exploitation, rupture de charge, technique de transport, etc... Mais l'analyse repose sur une confrontation archives/terrain limitée au site du Fournel. L'état des connaissances actuelles des mines au XIXe s. ne nous permet pas de considérer ce site comme un cas particulier, ni comme un cas représentatif. La solution passe par une meilleure connaissance des sites de cette période dans les Alpes, voire l'Europe.


Etablissement moderne

L'établissement minier au fond des gorges comprend : la maison du Directeur, la forge, les magasins, etc... et les ateliers de traitement mécanique du minerai. Ces derniers sont l'objet de fouilles archéologiques depuis 1991. Les structures en élévation ont disparu, par contre les vestiges au sol sont intacts : fosse de roue, canaux d'amenée d'eau, dallage, trémie en pierre, bacs et canaux de lavage, châssis de machines ... avec leur remplissage de sables stériles et de minerais abandonné. Les structures les plus remarquables sont les round-buddle en bois qui assuraient la purification des sables les plus fins. Ils sont dans un état de conservation encore jamais observés dans une fouille (pour l'Europe tout au moins).



Les campagnes 92-97 ont permis la fouille de la majeure partie des ateliers de traitement et de découvrir à nouveau des vestiges d'une rare qualité : la base d'un broyeur à cylindres associé à un débourbeur et une chaîne à godets. Il a été possible de faire le point sur la préparation mécanique en confrontant données des archives et observations de terrain. Elle nous amène à considérer que l'essentiel des appareils de préparation, ainsi que certain aménagements majeurs comme la fosse de la Rebaisse, ne date que de la reprise de 1893, soit un investissement considérable pour une période d'activité aussi courte, environ un an. Mais ce nouvel aménagement reflète l'aboutissement d'un processus de mécanisation et d'automatisation de la préparation mécanique. En 40 ans, l'établissement change complètement d'ambiance. Dans les années 1850, c'est une ruche où s'activent jusqu'à 200 personnes, réparties sur 6 ateliers ; en 1893, 10 personnes contrôlent la chaîne opératoire établie sur 2 ateliers.
Plus en aval, la Laverie du Bas et sa prise d'eau diffère par une prédominance des structures en béton et une organisation plus industrielle des ateliers.

Les enseignements de ces fouilles d'archéologie industrielle menée depuis 1992 continuent d'apporter un éclairage nouveau sur les techniques minières, pourtant bien documentées par les archives et les traités d'exploitation du XIXe siècle. En effet les principales sources anciennes sont de 2 types ; des documents administratifs et techniques induits par les réglementations ; des traités techniques et scientifiques élaborés et diffusés dans un cadre d'expansion économique. Ils offrent une vision différente de la réalité archéologique.
Le site du Fournel permet d'évaluer ces sources écrites et iconographiques : faire la part entre les projets de l'exploitant, les points de vue des ingénieurs et les aménagements réalisés ; comparer les appareils décrits dans les traités avec les structures découvertes en fouille ; confronter les théories de la préparation mécanique du minerai avec les enseignements des analyses sédimentologiques.

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Bibliographie


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ANCEL (B.) 2008 - La mine d'argent du Fournel à travers les sources historiques : 4. La Société des Mines de L'Argentière, sous la direction de M. Duclos de Boussois (1847-1851).     Cahiers du Château Saint-Jean n°4, p. 79-162
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