Les mines de cuivre préhistoriques de l’est de la Montagne Noire (Aveyron, Hérault) : état de la recherche

Bernard Léchelon (UMR 5608, TRACES), Jean-Gabriel Morasz (UMR 5608, TRACES), Michel Lopez (UMR 5243, GEOSCIENCES MONTPELLIER)

La plupart des gîtes métallifères encaissés dans les formations cambro-ordoviciennes de l'est de la Montagne Noire, depuis les Monts de Lacaune, les Monts d'Orb, et au-delà jusqu'au Lodévois, présentent des paragenèses polymétalliques complexes caractérisées par de fortes teneurs en cuivre. Mais, si la richesse en argent des cuivres gris a suscité l'intérêt soutenu des mineurs depuis l'Antiquité jusqu'au siècle dernier, il est désormais avéré que l'extraction du minerai de cuivre avait déjà été entamée auparavant. Cependant la reconnaissance de ces premiers chantiers miniers a été d'autant plus problématique qu'ils ont été maintes et maintes fois réactivés à des époques ultérieures où les techniques de creusement étaient sensiblement les mêmes : attaque au feu suivie d'un martelage des parois. C'est la principale difficulté à laquelle les premiers chercheurs comme Louis Balsan en 1947, René Maréchal en 1957, André Soutou en 1963 et l'un de nous (B. Léchelon, 1974, p. 43), ont été confrontés. Ils ont seulement pressenti la très grande ancienneté de plusieurs de ces districts miniers sans pouvoir en fournir des preuves formelles. A leur suite, une prospection faite par Hélène Barge en 1983 a permis de trouver une vingtaine de fragments d'outils de mineur en pierre à proximité des entrées actuelles de la mine de Bouco-Payrol (commune de Brusque, Aveyron) sans apporter de connaissance particulière (H. Barge, 1985).
Les recherches conduites par notre équipe depuis de nombreuses années dans cette partie de la bordure méridionale du Massif Central permettent de confirmer aujourd'hui l'existence de vestiges de mines de cuivre préhistoriques à Bouco-Payrol et de compléter les observations antérieures. Des chantiers et du mobilier archéologique  comparables ont été aussi trouvés dans d'autres secteurs du district minier de Fayet (à Labaume, commune de Sylvanès, Aveyron) et dans le Lodévois.

Des travaux miniers datés du Chalcolithique

 
Au cours de nos campagnes de prospection, nous avons recensé une vingtaine de vestiges d'ouvrages tous liés à l'extraction préhistorique de minerai de cuivre constitué en général de malachite, azurite et surtout de tétraédrite. L'exploration souterraine de la mine de Bouco-Payrol a été poursuivie et une chronologie précise a pu être établie. En particulier, des traces de travaux préhistoriques ont été repérées à une profondeur de 90m grâce à la présence de plusieurs marteaux en pierre. Dans un rayon de 200m autour du sommet de la montagne d'Ouyre (communes de Camarès et de Brusque), une douzaine de vestiges, tranchées et haldes, a été découverte (B.Léchelon, 1993). Chaque chantier est marqué au sol par une forte densité d'outils en pierre dont la présence confirme l'exploitation ancienne du gisement.

 

Les tranchées présentent des stades plus ou moins avancés de comblement. Des sondages entrepris dans deux d'entre elles n'ont permis de dater que les ultimes remaniements du sol intervenus respectivement aux IVe et VIe siècles de notre ère (B. Léchelon, 1994). Néanmoins, l'hypothèse d'une origine préhistorique de tous ces vestiges a pu être confirmée à la suite de la découverte en juin 2006 par Jean-Gabriel Morasz d'un fragment de crâne humain imprégné de sels de cuivre sur la halde de l'une de ces tranchées et dont l'âge par datation AMS 14C est de 2480 à 2450 BC (3950+/- 40 BP - Beta-221099).

Un outillage abondant et varié

  Ces nouvelles découvertes de mines de cuivre préhistoriques qui s'ajoutent à celles de Bouco-Payrol, désormais datées du Chalcolithique, sont d'autant plus prometteuses pour les recherches à venir qu'elles nous ont permis de rassembler plus d'un millier d'outils composés de marteaux en pierre, de mortiers, de tables de broyage et de percuteurs, tous recueillis à la surface des déblais tirés de ces divers chantiers. Il s'agit de galets qui présentent des aménagements (encoches et bouchardage) destinés à permettre la bonne tenue d'un lien de fixation. L'analyse de ce matériel archéologique fait apparaître des critères sélectifs dans le choix de la forme, du poids et de la nature pétrographique du galet (basalte, diorite, rhyolite, etc.) (B. Léchelon, 2001). Les traces de rubéfaction du cortex de nombreux fragments de galet, présents sur les haldes, trahissent l'utilisation de ces marteaux avec celle de la méthode de l'attaque au feu pour l'abattage des parois minéralisées (P. Ambert et alii, 1998, p. 66). 







Les résultats obtenus sont en accord avec ceux des travaux de recherches effectuées sur des sites miniers préhistoriques déjà connus en  Europe et au Moyen-Orient, à l'exception notable des mines de Cabrières (Hérault) pourtant en activité à la même époque. En effet, dans ce district les outils de mineur en pierre trouvés aux abords des excavations et dans les haldes n'entrent pas dans la catégorie des marteaux. Ils sont tous fabriqués à partir d'un bloc de quartzite sphéroïdal sommairement épannelé, d'un poids plutôt uniforme, et sans aucune trace d'un dispositif d'emmanchement (P. Ambert et alii, 1998, p. 61). Ils relèvent plus de la catégorie du broyeur comme Gaston Vasseur l'inventeur du site de Cabrières les avait justement désigné en 1911. Cette différence radicale en matière de choix d'outillage, et donc de son usage au milieu du IIIe millénaire avant notre ère, est d'autant plus singulière que les populations de mineurs de Bouco-Payrol et de Cabrières ne sont éloignées l'une de l'autre que d'une cinquantaine de kilomètres.
L'un des objectifs de nos investigations actuelles est justement de comprendre cette singularité entre ces deux sites de même âge, à partir d'une étude plus approfondie des chantiers miniers réputés anciens dans les Monts d'Orb et le Lodévois qui constituent un secteur géographique intermédiaire.






Bibliographie :

Ambert P., Carozza L. et Léchelon B., 1998. « De la mine au métal au sud du Massif Central au Chalcolithique (région de Cabrières, Fayet et Villefranche de Rouergue) », dans C. Mordant / M. Pernot / V. Rychner (éds.), L'atelier du bronzier en Europe du XXe au VIIe siècle avant notre ère, Actes du colloque international Bronze'96. Neuchâtel et Dijon. Tome II : Du minerai au métal, du métal à l'objet. Paris, CTHS, 1998, p. 59-69.

Balsan L., 1947
- « La préhistoire aveyronnaise hors des Causses », dans Procès-verbaux de la Société des lettres, sciences et arts de l'Aveyron, t. 35, 1947, p. 169-171.

Barge H., 1985 - « Les indices de minerai de cuivre et les traces des anciennes exploitations minières de la bordure méridionale du Massif Central. Les avens-mines de Bouche-Payrol à Brusque (Aveyron) », dans Bulletin de la Société Méridionale de Spéléologie et de Préhistoire, t. XXV, 1985, p. 61-68.

Léchelon B., 1974 - « La mine antique de Bouche-Payrol (Sud Aveyron) - essai d'archéologie minière », Fayet, 1974, 61 p.

Léchelon B., 1993 - « Canton de Camarès, sites miniers », dans Bilan Scientifique Régional, 1993, S.R.A. DRAC Midi-Pyrénées, p. 72.

Léchelon B., 1994 - « Bouco-Payrol II (Brusque, Aveyron) », dans Bilan Scientifique Régional, 1994, S.R.A. DRAC Midi-Pyrénées, p. 45-47.

Léchelon B., 2001 - « Mines et métallurgies préhistoriques », dans P. Gruat (dir.), Du silex au métal. Mines et métallurgie en Rouergue, Catalogue d'exposition, Montrozier, musée du Rouergue (coll. Guide d'Archéologie, 9), 2001, p. 116-142.

Maréchal, R., 1957 - « Histoire de la métallurgie », dans Ogam, 1957, p. 316.


Soutou A., 1963 - « Ancienneté des mines de cuivre de Bouche-Payrol (Canton de Camarès - Aveyron) », dans Ogam, t. VI, 1963, p. 68-70.

Vasseur G., 1911 - « Une mine de cuivre exploitée à l'âge du Bronze dans les garrigues de l'Hérault », dans L'Anthropologie, t. XXII, 1911, p. 413-420.