Les mines d'or en Alluvions de Cerdagne (Pyrénées orientales et Catalogne) : premiers travaux de terrain

Béatrice Cauuet (TRACES - UMR 5608), Frédéric Christophoul (LMTG - UMR 5563, UPS Toulouse), Calin Tamas (MdC, Université de Fribourg, CH), Jose Luis Garcia Pulido (Post-Doctorant, TRACES)

En Cerdagne, à côté de petits sites d'extraction et de production du fer localisés en moyenne montagne, il existe des ensembles de chantiers ravinés marquant les paysages des terrasses de la vallée du Sègre et interprétés jusque-là comme des terrains naturellement ravinés (« bad-lands »). Ces anciens travaux miniers de surface se trouvent situés dans des dépôts alluviaux de la fin du Tertiaire (Miocène et Pliocène) et du Quaternaire (formations fluvio-glaciaires et alluvions). Leur morphologie (parfois de taille imposante) et leur position en contexte alluvial aurifère permet de penser que, par analogie, ils correspondent à l'exploitation de dépôts aurifères détritiques par la force hydraulique. Ce type de travaux miniers de surface est bien connu pour l'or à l'époque romaine dans le Nord-Ouest de la péninsule Ibérique. La zone concernée par ce type de vestiges miniers s'étend principalement de Saillagouse au nord-est, côté français, à la Seu d'Urgell au sud-ouest, côté espagnol. Une étude pluri-disciplinaire (archéologie, géomorphologie, minéralogie, plus tard géochimie) a été lancée sur ces mines d'or localisées sur le territoire des Cerretani en 2009.


Etude géomorphologique et minéralogique des terrains aurifères

L'étude géomorphologique des dépôts aurifères de la zone d'étude a commencé sur le site de Coll Rigat-Est localisé au nord de Saillagouse. L'analyse des faciès du Miocène du Bassin de Cerdagne dans le gisement de Saillagouse a été effectuée par un levé de logs sédimentologiques. Ce levé consiste à identifier en continu, le long d'une coupe, la pétrographie des roches sédimentaires (granulométrie, composition minéralogique et structures sédimentaires) afin d'identifier les lithofaciès. De cette première étude il ressort que le gisement d'or alluvionnaire de Saillagouse-Llo est constitué d'un empilement de dépôts caractéristiques, en grande majorité de courants gravitaires (séquence SG). Les  séquences SG caractériseraient les dépôts latéraux (issus des massifs situés au nord et au sud du bassin de Cerdagne), alors que les dépôts fluviaux (GB) seraient caractéristiques de cours d'eau s'écoulant dans l'axe du bassin (paléo-Sègre). Ces conclusions sont en accord avec les modèles de systèmes sédimentaires proposés pour la région.

Les recherches géologiques (échantillonnage de l'or en batée) menées sur le terrain de Saillagouse ont confirmé la présence de l'or alluvial à l'échelle locale avec la mise en évidence de grains d'or dans les sédiments récents de la rivière du Sègre, en aval des chantiers de Llo et dans le ruisseau qui draine les chantiers de Saillagouse. De plus, la présence systématique de pyrite plus ou moins oxydée a été observée dans les couches sédimentaires recoupées par les chantiers de Saillagouse, et d'une manière plus concentrée dans les sédiments récents du ruisseau qui collecte les eaux de ruissellement de ces chantiers. Les observations microscopiques ont montré qu'il ne s'agissait pas de paillettes mais de grains d'or. La surface des grains est moyennement lisse avec des restes de cristaux octaédriques, ainsi que des restes de cristaux de quartz, intimement associés aux grains d'or. La présence de la pyrite idiomorphe, même si elle est oxydée, certifie également une distance de transport assez réduite de ces grains depuis la source primaire de l'or.
 
Technique antique d'exploitation de l'or alluvial

Les alluvions aurifères sont des dépôts argileux et sableux, plus ou moins riches en galets. L'or métal y est inclus à l'état libre et natif, en fines paillettes ou en grains. Cet or secondaire est plus facile à extraire de sa gangue argilo-sableuse que l'or primaire, pris dans une gangue rocheuse, qu'il faut tout d'abord abattre, puis broyer. En observant les phénomènes d'érosion naturelle, les Anciens ont compris les multiples effets des courants d'eau, qui pouvaient à la fois transporter, laver et évacuer des masses importantes de matériaux. Il restait à recréer artificiellement ce processus d'érosion naturelle, en installant en amont des terrains aurifères convoités, un système d'irrigation pour approvisionner la mine en eau et en aménageant en aval un dispositif (fossé habillé de planches au fond couvert de tissus, peaux de mouton ou plantes pubescentes susceptibles de retenir les grains d'or) qui piège l'or transporté dans le courant.
Cette technique minière, qui procède par lavage et décapage continus des dépôts aurifères, permet de traiter avec profit de grandes quantités de matériaux, souvent de faible teneur. Elle a été décrite notamment par Pline pour le Nord-Ouest de la péninsule Ibérique (Pline, XXXIII, 74-78). Ces mines ont laissé dans le paysage de vastes échancrures qu'un œil avisé sait rapidement identifier. Quoi qu'intensément pratiquée à l'époque romaine, cette technique d'exploitation n'est pas une invention des Romains. En effet, dans la région de La Bessa (nord de l'Italie), une exploitation de conglomérats aurifères a été datée de l'âge du Fer. Les Romains ont cependant porté ce mode d'extraction minière au rang de véritable industrie, notamment dans le Nord-Ouest de la péninsule Ibérique et en Dacie (région au nord-ouest de la Roumanie) où des dépôts aurifères ont été travaillés sur des km².

Premiers résultats des prospections 2009

Les recherches de terrain ont démarré en 2009, côté français, par un programme de prospection thématique financé par le SRA de Languedoc-Roussillon sur les trois communes les plus au nord-est de la zone aurifère : Estavar, Saillagouse et Llo. Les travaux miniers recensés occupent les versants dominants les talwegs d'affluents en rive droite du Sègre. Quelques chantiers recreusent également des fonds de talweg. Sur un total de 33 sites inventoriés en 2009, on compte 8 sites sur la commune d'Estavar, 19 sites sur celle de Saillagouse et 6 sites sur Llo.


Pour la première année de prospection, nous avons commencé à recenser les différentes zones travaillées (visite et contrôle des sites potentiels sur le terrain) et effectué le relevé en plan détaillé des travaux. Cette lecture stéréoscopique du paysage et mise en plans des vestiges miniers ont été effectuées par la photo-interprétation stéréoscopique de clichés aériens verticaux de l'IGN (missions au 1/8000e menées en 1961 et au 1/17000e en 1988).
Le type de chantier assez largement rencontré est le chantier-ravin. Ils sont le plus souvent ouverts les uns à côté des autres sur les versants et ont fini par former des sortes de chantiers-cirque ouverts en éventail. Le site le plus caractéristique de ce type est celui du Coll de Rigat-Est sur la commune de Saillagouse. Par contre, sur la commune de Sainte Léocadie  certains petits chantiers disposés très régulièrement sur des croupes peu élevées aux versants étalés, présentent un relief intérieur bien strié par des tranchées parallèles ou en éventail. Ils pourraient être décrits comme des chantiers-peigne. Enfin, côté espagnol, les sites les plus profonds et les plus spectaculaires apparaissent au nord de la Seu d'Urgell et présentent un relief en large front de taille dentelé, du type d'un chantier-cirque. Les premières observations de terrain ne montrent pas d'exploitation du type ruina montium comme dans le Leon. Il s'agit ici d'une exploitation continue par débourbage de l'alluvion aurifère dans des tranchées/chantiers allant en s'approfondissant et en s'élargissant.