Le fer chez les Dogons du Mali - Etat des recherches -

L'étude de la sidérurgie au pays dogon est menée dans le cadre du programme de recherches international et interdisciplinaire « Peuplement humain et évolution paléoclimatique en Afrique de l'Ouest » dirigé par Prof. E. Huysecom de l'Université de Genève et en collaboration avec la Mission Culturelle de Bandiagara. Depuis 2002, des missions annuelles de prospection et de fouille, sont organisées, conjointement avec Genève, avec comme objectif principal d'identifier et d'étudier les sites de production du fer. Une thèse de doctorat a été achevée (C. Robion-Brunner), deux autres sont en cours (S. Perret, R. Soulignac). Un peu plus d'une centaine de sites ont été repérés et une douzaine a pu faire l'objet de travaux plus approfondis (fouille de fourneaux, analyses minéralogiques des scories, détermination des charbons de bois, datation).  
Si, au pays dogon comme partout en Afrique, le fer a toujours été produit par réduction à l'état solide (méthode directe), les vestiges montrent une grande variabilité, à la fois dans les techniques utilisées (types de fourneau, fonctionnement) et dans l'importance de la production (volumes de déchets). On décompte au moins six traditions techniques différentes. Il semble qu'il faut rattacher cette diversité à la coexistence de différents groupes ethniques dans la mesure où les enquêtes orales attestent que ces techniques étaient pratiquées de manière contemporaines, mais dans des aires géographiquement et linguistiquement distinctes. Les mécanismes culturels qui permettent à des traditions techniques juxtaposées de se maintenir sur la longue durée, restent obscurs.
On constate l'existence d'un réseau d'ateliers d'importance limitée. Quelques fourneaux sont associés à des buttes de débris de quelques dizaines de tonnes. Ces sites se répartissent assez uniformément dans les zones occupées et répondent aux besoins des communautés agricoles locales. Dans quelques villages, cette activité prend plus d'ampleur, comme en témoignent des accumulations de scories considérables (jusqu'à 10 ou 20.000 tonnes). La sidérurgie est une activité importante pour une partie de la population du village qui en tire ses moyens de subsistance. Une bonne partie de la production est écoulée dans les régions voisines. Les traditions orales gardent la mémoire de cette situation pour les 18e et 19e siècles.
Autour du village de Fiko, entre Mopti et Bandiagara, un véritable district de production intensive a été mis en évidence par les prospections. Dans un rayon d'une quinzaine de kilomètres, on ne compte pas moins d'une douzaine de sites où les amas de scories atteignent des volumes énormes, de plusieurs dizaines de milliers de tonnes. Alors que l'inventaire n'est pas achevé, l'estimation globale dépasse les 250.000 tonnes de scories, correspondant approximativement à une production de fer brut d'au moins 100.000 tonnes. Les fourneaux possèdent un volume interne très important, entre 3 et 5m3 et fonctionnent par tirage naturel grâce à de nombreuses tuyères. Cette industrie semble se développer dès le 11e siècle de notre ère et se perpétue jusqu'à l'aube du 20e siècle. Les datations ne sont pas encore assez nombreuses pour suivre les fluctuations de la production ni pour en fixer définitivement l'origine. On constate cependant que l'essor de cette activité est contemporain de l'apogée de l'Empire du Mali, le plus fameux de la zone sahélienne.
L'étude de la sidérurgie au Pays dogon apporte une contribution importante à la compréhension des sociétés sahéliennes historiques : le fer y joue un rôle essentiel. On conçoit facilement que pour ces sociétés basées en grande partie sur la puissance militaire, le fer est un enjeu stratégique. Le rôle du fer dans l'agriculture est tout aussi important. Les outils en fer sont indispensables au paysan pour travailler le sol et atteindre une productivité suffisante pour dégager les surplus alimentaires indispensables au fonctionnement de ces sociétés complexes. Enfin, le fer a fait partie du système d'échanges à moyenne et longue distance. Dans le cas du fer dogon, sa participation au grand commerce transsaharien médiéval entre l'Afrique noire et le monde islamique est une hypothèse à considérer. A côté d'une production modeste destinée à satisfaire les besoins locaux.

Par ailleurs, ces recherches sont aussi extrêmement fructueuses dans la perspective de la compréhension des vestiges archéologiques d'autres régions et d'autres périodes. Les vestiges maliens sont souvent extrêmement bien conservés et accessibles. Les traditions orales, encore très vivantes, permettent aussi de replacer ces témoins matériels dans un cadre culturel plus large. Il devient possible d'étudier les acteurs de cette industrie en temps que groupe social et culturel.

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