Mines et métallurgies dans les Corbières et la Montagne Noire (Aude) durant l'âge du Fer et la période romaine. Résultats de la prospection thématique menée en 2009

1/ Cadre historique et ressources minières :
    Le bassin audois a connu un essor économique prononcé à la fin de l'âge du Fer, bénéficiant d'une position privilégiée sur l'isthme gaulois, à la croisée d'axes d'échanges majeurs reliant les domaines gaulois et ibérique, atlantique et méditerranéen. Tout en renforçant ce dynamisme, la conquête romaine et la fondation de Narbonne à la fin du IIème siècle av. n. è., ont jeté les bases d'un nouvel ordre économique dans la région, dans lequel Narbonne a joué un rôle central, en tant que capitale de la province de Narbonnaise et pôle économique placé au carrefour des routes commerciales de l'Occident romain. Dans ce contexte, marqué notamment par une hausse exponentielle des besoins en métaux entre le second âge du Fer et la période romaine, le potentiel minier des Corbières et de la Montagne Noire était un atout de taille. Formant l'arrière-pays narbonnais, ces deux massifs abritent en effet des gisements nombreux minéralisés essentiellement en fer, cuivre et plomb fréquemment argentifères. Ces ressources confèrent à l'arrière-pays narbonnais un intérêt économique de premier ordre qui n'a pas échappé aux Anciens.

2/ Problématique de la recherche :
    En effet, les opérations archéologiques menées depuis les années 1970 ont révélé la présence dans la Montagne Noire de l'un des plus importants districts sidérurgiques du Monde romain, et l'existence dans les Corbières d'un district minier polymétallique actif durant l'Antiquité. Néanmoins, au terme de trois décennies de recherche, certains aspects de l'activité minière dans l'arrière-pays narbonnais étaient encore mal cernés. Fondée sur une double approche archéologique et archéométrique, une thèse de doctorat a donc été initiée en 2008 afin de préciser l'évolution de l'exploitation des gisements de fer et de cuivre argentifère de cette région entre la fin de l'âge du Fer et le début de la période romaine, pour, à terme, tenter de spécifier l'impact de la domination romaine sur cette activité dans les domaines technique (extraction et transformation du minerai) et économique (ampleur de l'exploitation et débouchés). Cette étude s'articule autour d'une prospection thématique démarrée en 2009, dont les résultats sont présentés dans le cadre de ce séminaire.

3/ Le district minier des Corbières :
    Les gisements miniers du sud du département de l'Aude se concentrent dans le massif paléozoïque de Mouthoumet, dans les Hautes Corbières. Ils peuvent être groupés en trois grandes catégories : amas karstiques à fer manganésifère inclus dans les terrains dévoniens, amas barytiques à sulfures et sulfosels de cuivre (cuivres gris) des séries viséennes, et enfin, minéralisations filoniennes à cuivre, plomb, argent et antimoine, encaissées dans les formations de l'Ordovicien, du Silurien et du Carbonifère. Les découvertes anciennes et les prospections pédestres menées durant les décennies 1970 et 1980, ont révélé l'existence, dans les Corbières occidentales et septentrionales, de quelques ateliers métallurgiques ou sites d'extraction isolés, datés généralement des Ier s. av. n. è. et Ier s. de n. è. Les interventions menées ponctuellement en 2009 dans ces zones n'ont pas fourni de nouveaux éléments. En revanche, dans les Corbières centrales, trois pôles d'activités minière et métallurgique antiques peuvent être distingués, couvrant au total une centaine de kilomètres carrés. Notre enquête s'est essentiellement concentrée sur ces trois secteurs.
     Le plus septentrional est établi sur les dépôts ferrifères présents en nombre sur le plateau de Lacamp (Albas, Palairac, Talairan, Villerouge-Termenès). A ce jour, huit zones d'extraction du minerai de fer ont livré du mobilier céramique d'époque romaine républicaine (IIème-Ier s. av. n. è.), découvert à proximité de travaux prenant généralement la forme de minières et tranchées parfois de grande ampleur (fig. 1 ci-contre), qui ont pour beaucoup fait l'objet de réexploitations aux époque moderne et contemporaine. Par ailleurs, 21 ferriers sont actuellement identifiés sur le plateau et dans les vallons adjacents, mesurant quelques centaines à quelques milliers de mètres carrés et datés en majorité des Ier s. av. n. è. et Ier s. de n. è. Quelques kilomètres plus au sud, les prospections engagées au sein du pôle minier de Maisons ont permis de confirmer l'importance du complexe minier de l'Abeilla-Peyrecouverte, actif aux IIème et Ier s. av. n. è. et établi sur des minéralisations sulfurées à cuivres gris, chalcopyrite et galène. Enfin, dans le secteur de Padern-Montgaillard, où affleurent de nombreux amas et filons barytiques à malachite, azurite, cuivres gris et galène, le travail de terrain a révélé une quarantaine de travaux ou groupes de travaux ouverts via un abattage mixte, au feu et à l'outil. Près de la moitié d'entre eux était associée à du mobilier céramique d'époque romaine républicaine (secteurs de La Caunetta et du Tistoulet), quelques indices permettant d'envisager un démarrage de l'exploitation durant l'âge du Fer. De petits travaux de recherche y côtoient des chantiers subverticaux à ciel ouvert (fig. 2 ci-dessous) et des galeries étagées, comblées, laissant supposer l'existence de réseaux miniers souterrains. Contemporain de l'activité minière antique, un petit épandage de scories produites par un traitement de minerai cuprifère (en cours d'analyse) a été repéré à 5km des sites d'extraction, mais aucun lien n'est pour l'heure clairement établi avec ces derniers.

4/ Le district minier de la Montagne Noire :
    Le district minier de la Montagne Noire englobe une série de minéralisations encaissées majoritairement dans les terrains paléozoïques du versant méridional. Les nombreux chapeaux de fer présents dans ce district, en particulier dans la partie supérieure des minéralisations sulfurées aurifères de la région de Salsigne, ont fait l'objet d'une exploitation intensive à l'époque romaine, entre le milieu du Ier s. av. n. è. et le IIIème s. de n. è., alimentant de très nombreux ateliers sidérurgiques atteignant parfois des dimensions impressionnantes (Domaine des Forges, Les Martys). En revanche, peu de données attestaient jusqu'alors une mise en valeur des dépôts de minerais non-ferreux de la Montagne Noire durant l'Antiquité. Ceux-ci, minéralisés essentiellement en galène et cuivres gris, sont très fréquents entre la vallée de l'Argent-Double et la vallée de l'Orbiel. C'est dans cette dernière que s'est développée l'enquête de terrain en 2009. Pour l'heure, outre l'important complexe minier des Barrencs (Lastours, Fournes-Cabardès) actif aux IIème et Ier s. av. n.è., voire même dès le IVème s. av. n. è. (cf. communication de J.-M. Fabre et al.), seuls quelques sites miniers ont livré des indices ténus d'une activité extractive d'époque romaine républicaine (Roc des Cors, Fournes-Cabardès ; Le Pestril, Lastours). Dans d'autres cas (La Caunette, Lastours ; La Caune, Labastide-Esparbeyrenque...), la découverte de mobilier céramique au XIXème s. et au début du XXème s., tendrait à y resituer une phase d'exploitation romaine, chronologie que le travail de terrain n'a pas encore permis de confirmer. Enfin, il est intéressant d'observer la présence d'un important site d'habitat aggloméré d'une quinzaine d'hectares, contemporain de la mine des Barrencs, et implanté sur le plateau du Juncas, à moins de deux kilomètres des mines anciennes de Salsigne (Fe) de la Caunette (Pb-Ag-Fe) et des Barrencs. Deux épandages de scories cuivreuses, malheureusement non datés, sont signalés à proximité immédiate de ce site. La situation de ce dernier, au coeur du secteur minier de la vallée de l'Orbiel, incite G. Rancoule à  le rapprocher des oppida-marchés qui se développent dans le bassin audois durant l'époque romaine républicaine (La Lagaste, Pomas et Rouffiac-d'Aude).

5/ Conclusions et perspectives :
    Les données recueillies cette année concernent pour la plupart la période romaine républicaine. Elles fournissent de nouveaux éclairages à la fois dans les domaines de la production de fer et de la mise en valeur des gisements de minerais non ferreux. Cette première année d'étude est riche d'enseignements et ouvre des perspectives de travail intéressantes. D'une part, certaines observations (Les Barrencs, Abeilla-Peyrecouverte, Le Tistoulet) permettent d'entrevoir l'intensité avec laquelle les mineurs de l'Antiquité ont cherché à mettre à profit certaines minéralisations à cuivre gris et galène, très argentifères. C'est là un point qui doit être approfondi, en poursuivant le travail d'inventaire et en développant l'étude archéologique et archéométrique de certaines sites d'extraction et des quelques aires de traitement des minerais cuprifères relevées dans les Corbières et la Montagne Noire, le but étant de spécifier la place de l'argent dans l'essor de l'activité minière perceptible à l'époque romaine républicaine. Par ailleurs, les résultats obtenus cette année dans les Corbières dans le domaine de la sidérurgie antique sont encourageants et invitent à continuer les recherches dans cette direction, pour tenter en particulier de distinguer une phase d'exploitation antérieure à la conquête romaine. A terme, ce travail aidera peut-être à  clarifier l'origine du fer intensément travaillé durant l'âge du Fer, au sein de l'agglomération fortifiée de Pech-Maho, à quelques dizaines de kilomètres à l'est des Corbières centrales. Enfin, l'étude du site du Juncas permettra sans doute de préciser la nature de cet habitat aggloméré et son rôle dans l'économie régionale antique, dans laquelle l'activité minière a sans aucun doute tenu une place prépondérante, comme le révèle peu à peu l'étude de la mine antique des Barrencs engagée depuis 2009 par une équipe du laboratoire TRACES (J.-M. Fabre, E. Kammenthaler, J. Mantenant, G. Munteanu, C. Rico).

BIBLIOGRAPHIE :

DOMERGUE C. (dir.), Un centre sidérurgique de la Montagne Noire, le Domaine des forges (Les Martys, Aude), Revue Archéologique de Narbonnaise, supplément 27, Paris, 1993.

DECOMBEIX P.-M., DOMERGUE C., FABRE J.-M., GORGUES A., RICO C., TOLLON F., TOURNIER B., Réflexions sur l'organisation de la production de fer à l'époque romaine dans le bassin supérieur de la Dure, au voisinage des Martys (Aude), Gallia, 57, 2002, p. 23-36.

MANTENANT J., Mines et métallurgie en territoire audois au cours de l'âge du Fer et de la période romaine (VIIIème siècle av. J.-C. - Vème s. apr. J.-C.), dans OURNAC P., PASSELAC M., RANCOULE G., Carte archéologique de la Gaule. L'Aude (11/2), Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris, 2009, p. 85-95.

RANCOULE G., La Lagaste, agglomération gauloise du bassin de l'Aude, Atacina, 10, Carcassonne, 1980.

RANCOULE G., RIGAUD L., La fosse à amphores n°38 de Lacombe (commune de Lastours, Aude), Bulletin de la Société d'Etudes Scientifiques de l'Aude, 78, 1978, p. 27-33.