Archéologie préhistorique dans la région des lacs d’Ethiopie (Ziway, Langano, Abijata) : contribution à l’établissement de la séquence Late Stone Age d’Afrique orientale (LSA sequence in Ethiopia)


Responsables
François BON (UT2J, UMR 5608 TRACES) et ASAMEREW DESSIE (ARCCH).

Participants
ABEBE MENGISTU (master Eramus mundus, Institut polytechnique de Tomar), BEHAILU HABTE (ARCCH et université d’Addis Abeba), Laurent BRUXELLES (INRAP, TRACES), Françoise CHALIE (CNRS, UMR 7330 CEREGE, Aix-en-Provence), Katja DOUZE (post-doctorante, PACEA et université de Witwatersrand),  Lucie COUDERT (doctorante, UT2J, TRACES), François-Xavier FAUVELLE (CNRS, TRACES), Lamya KHALIDI (CNRS, MOM, UMR 5133, Université de Lyon), Joséphine LESUR (Muséum d’Histoire Naturelle de Paris, UMR 7209), Clément MENARD (doctorant,  UT2J, TRACES), Romain MENSAN (TRACES) et Chantal TRIBOLO (CNRS, UMR 5060 IRAMAT, Bordeaux).

Financement et support logistique
MAEE (Commission des fouilles) et CFEE, avec le concours de l’université de Toulouse 2 Jean-Jaurès, de l’INRAP et de l’UMR 5608 TRACES

Mots-clés : Ethiopie, région des lacs, Bulbula river, Late Stone Age, archéologie, géoarchéologie, paléoenvironnement.

"Archives filmiques de la mission 2015" réalisées par Stéphane Kowalczyk

Présentation du programme
Le Late Stone Age (LSA) d’Afrique de l’Est est le parent pauvre de notre connaissance de l’évolution des comportements humains au cours de la Préhistoire de cette partie du monde, en particulier dans le contexte éthiopien. Pourtant, cette période comprise entre environ 30 000 à 3/2000 B.P. revêt une grande importance : lors de sa phase ancienne, les dernières populations de chasseurs-cueilleurs nomades sont les acteurs d’importantes transformations technologiques vis-à-vis de leurs prédécesseurs du Middle Stone Age (MSA), transformations qui accompagneront ensuite, aux environs de 5000 B.P., une évolution socio-économique au travers de l’adoption de l’agriculture et de l’élevage (Néolithique). Cependant, le nombre de sites connus ou, tout du moins, correctement fouillés et analysés reste très limité. En l’état actuel des données disponibles, il est donc difficile d’établir la séquence précise au cours de laquelle ces changements se sont accomplis et c’est ainsi que, en dépit de son importance pressentie, l’Ethiopie participe insuffisamment aux débats relatifs à cette période en Afrique de l’Est comme, plus généralement, à l’échelle de ce continent. Cela concerne par exemple le rythme et les modalités de la transition opérée entre les sociétés du MSA et du LSA, l’existence éventuelle de populations spécialisées dans l’économie de pèche lors des premiers millénaires de l’Holocène comme le processus de néolithisation intervenu ultérieurement au cours de cette période.
 

Afin de tenter d’apporter une contribution à ces différentes questions, il nous est apparu nécessaire de choisir une région d’étude possédant une grande diversité de paysages (plateau, piémont et plaine), car seule une telle diversité permet de multiplier les chances de réunir une information répondant à la fois à la pluralité potentielle des comportements humains (sites de plein air et d’abris, implantés sur des reliefs ou bien au contraire en plaine, associés à des environnements fluviatiles et/ou lacustres,…) comme à la diversité des enregistrements archéologiques et pédo-sédimentaires selon les contextes géomorphologiques. C’est la raison pour laquelle notre attention s’est portée sur la région des lacs occupant la partie centrale du Rift éthiopien (MER), où des données archéologiques avaient en outre d’ores et déjà été recueillies par des équipes américaines au début des années 1970 (travaux de G. Humphreys et J. Gallagher pour la période qui nous intéresse). Une fois défini ce périmètre d’étude, en l’occurrence la zone comprise entre le lac Ziway au Nord et les lacs Langano et Abijata au Sud, nos recherches ont pris la forme de prospections menées en divers contextes géomorphologiques, où l’analyse des contextes géologiques et archéologiques en présence a guidé la réalisation de plusieurs sondages et de fouilles. Cette approche nous a permis de restituer une séquence géologique couvrant l’histoire du paysage au cours des 40 derniers milliers d’années, offrant un contexte stratigraphique et paléoenvironnemental aux nombreuses données archéologiques recueillies.
 

Les recherches conduites au cours des missions de terrain réalisées entre 2007 et 2014 ont en effet confirmé le très grand potentiel archéologique de cette zone, tous les contextes géomorphologiques évoqués précédemment ayant livré des indices d’occupation humaine au cours du LSA : nous avons ainsi pu contribuer à documenter plusieurs sites de plein air implantés sur les reliefs dominant la plaine fluvio-lacustre de la Bulbula (Macho Hill et Waso Hill), reconnu des occupations en grottes et abris (Agadima) ainsi que de nombreux témoignages d’implantation en milieu lacustre et/ou fluvial. Parmi ces différents contextes, les plus riches d’informations se sont révélés être ceux des rives de la Bulbula et du Deka Wede. C’est là que les données géologiques permettent le mieux d’inscrire les données archéologiques dans l’histoire générale du paysage (en particulier au travers de la lecture des différentes phases de transgression et régression lacustre intervenues au cours du Pléistocène supérieur et de l’Holocène) ; c’est également là que les conditions pédo-sédimentaires permettent de disposer non seulement de riches assemblages lithiques (industries réalisées pour l’essentiel en obsidienne), mais également de vestiges organiques (ossements, charbons, etc.). La conjugaison de ces divers aspects permet ainsi d’obtenir une séquence à la fois plus complète et plus précise de l’évolution des comportements humains, replacés dans leur cadre paléoenvironnemental.
 


Voici la trame des évènements que nous sommes parvenus à reconstituer sur l’histoire du paysage et les dynamiques d’occupation humaine dans la plaine de la Bulbula. Nous sommes désormais en mesure de restituer la séquence géologique de cette zone au cours des derniers 40 milliers d’années environ et de documenter l’existence de trois phases d’occupation préhistorique, qui correspondent chacune à trois épisodes de régression lacustre durant lesquels les conditions n’étaient cependant pas trop arides pour permettre l’installation humaine :
- La première de ces phases, antérieure à 25 000 BP, correspond à une expression du MSA final, phase qui demeure encore très peu documentée en Afrique de l’est et qui apparaît ici  sous les traits d’un faciès technique inédit.
- Postérieurement, les conditions d’aridité s’accentuent, tandis qu’un épisode de volcanisme important est attesté (Abernosa pumice member) ; durant cette période comprise entre circa 25 000 et 15 000 BP, aucune trace d’occupation humaine n’a été décelée dans la plaine de la Bulbula et il faut attendre les deux derniers millénaires du Pléistocène pour retrouver des témoignages archéologiques significatifs, appartenant cette fois-ci au LSA.
- Une seconde phase d’occupation humaine intervient en effet entre la fin du Pléistocène et le début de l’Holocène, soit entre 12 000 cal BC et 10 000-9200 cal BC  environ. Il faut toutefois souligner que l’occupation humaine de cette zone paraît s’interrompre une nouvelle fois lors de l’épisode aride du Younger Dryas qui sépare ces deux ensembles. Les industries appartenant à cette phase présentent une remarquable diversité, sans équivalent connu actuellement dans la Corne de l’Afrique. Il est particulièrement intéressant de constater que cette diversité accompagne un changement économique majeur dans le courant du Xème millénaire cal BC, marqué par le développement très significatif de la pêche.
- Après 9200 cal BC, l’accroissement de l’humidité entraîne la grande transgression holocène, qui repousse sans doute les occupants de la vallée sur les rebords du « Macrolake » qui s’est alors mis en place, lequel se maintient de façon continue jusqu’à 3500 cal BC au moins.
- Suite à la dernière régression lacustre, intervenue après 3500 cal BC, cette zone est de nouveau occupée mais, archéologiquement, il faut attendre le début de notre ère pour retrouver des contextes livrant des traces d’occupation humaine correctement stratifiées (B1s2, 7-8e siècles AD). Au cours de cette ultime épisode d’occupation humaine que nous avons été en mesure de documenter archéologiquement, les traces observées paraissent correspondre pour la première fois à l’installation de populations pastorales, répondant à des traditions industrielles très différentes de celles enregistrées antérieurement.
 

L’enregistrement archéologique que nous sommes parvenus à établir dans la plaine de la Bulbula est donc par essence discontinu, puisqu’il témoigne de phases d’occupation rythmées par les grands cycles climatiques de transgression et de régression lacustre ou, corrélativement, de plus ou moins forte aridité ; la présence humaine fut également dépendante des épisodes volcaniques qui ont pu momentanément bouleverser les conditions de vie dans cette zone. Toutefois, chacune des phases d’occupation décelées apportent des éclairages nouveaux à la connaissance de la Préhistoire éthiopienne, qu’il s’agisse de contribuer à l’identification d’une phase finale du MSA lors de l’OIS3 comme de documenter la diversité des expressions du LSA à la charnière du Pléistocène et de l’Holocène.

Parallèlement, un programme complémentaire sur la gîtologie des sources d’obsidienne environnantes a été développé, notamment celles du volcan Alutu, dont nous avons tâché d’apprécier l’accessibilité et l’exploitation au cours du temps.

Références bibliographiques


Ménard C., Bon F., Asamerew Dessie, Bruxelles L., Douze K., Fauvelle-Aymar F.-X., Khalidi L., Lesur J. et Mensan R., 2014 : Late Stone Age variability in the Main Ethiopian Rift: new data from the Bulbula River, Ziway-Shala basin, Quaternary International, 343, p. 53-68.

Bon F., Asamerew Dessie, Bruxelles L., Daussy A., Douze K., Fauvelle-Aymar F.-X., Khalidi L., Lesur J., Ménard C., Marder O., Mensan R. et Saint-Sever G., 2013 : Archéologie préhistorique de la partie centrale du Main Ethiopian Rift (bassin lacustre de Ziway-Shala) : contribution à l’établissement de la séquence Late Stone Age d’Afrique orientale (LSA Sequence in Ethiopia), Annales d’Ethiopie, 28, p. 261-297.

Bon F., Assamerew Dessie, Mensan R. et Fauvelle-Aymar F.-X., 2006 : Mission de prospection en archéologie préhistorique (LSA) dans la région des lacs d’Ethiopie (Koka, Ziway, Langano, Abijata). Annales d’Ethiopie, 2006 (2007), vol. XXII, p. 85-129.