En direct des laboratoires... Mines et forêts : la mémoire du temps.

Communiqué de presse Université de Lorraine

Publié le 18 mai 2015 Mis à jour le 4 juin 2015

Des archéologues et des scientifiques, spécialistes du bois, sous la direction de Denis Morin (UMR CNRS 5608) et de Catherine Lavier (LAMS UMR CNRS 8220-Université Pierre & Marie Curie), installent leur laboratoire au fond des anciennes mines du massif vosgien pour étudier les événements du passé.


En direct des laboratoires...

MINE ET FORETS : LA MEMOIRE DU TEMPS….

Des archéologues et des scientifiques, spécialistes du bois, installent leur laboratoire au fond des anciennes mines du massif vosgien pour étudier les événements du passé.


Les anciennes mines sont des conservatoires exceptionnels de vestiges en bois ; poutres de soutènement, échelles, corps de pompes, machineries d’exhaure, mobilier destiné au transport ou à l’abattage, auges, douelles de seaux, ou encore manches d’outils ou sabots de mineurs… Les mines de la Grande Montagne de (Commune de Haut-du-Them / Château-Lambert) localisées à la limite de la Franche-Comté et de la Lorraine, regorgent de vestiges abandonnés par les générations de mineurs qui se sont succédées au cours du temps dans les galeries et les dépilages. Ce gisement de cuivre qui affleure sur les crêtes a généré une industrie minière et métallurgique attestée au début de l’époque moderne. Des traces remontant à l’époque médiévale voire en deçà n’y sont pas à exclure. C’est pour identifier ces traces, que des archéologues et des scientifiques spécialistes du bois, ont installé leur laboratoire au fond de ces anciennes mines.

Les mines de la Grande Montagne de Château-Lambert sont actuellement le théâtre d’investigations menées par une équipe d’archéologues sous la direction de Denis Morin (UMR CNRS 5608) et de Catherine Lavier (LAMS  UMR CNRS 8220-Université Pierre & Marie Curie). Il s’agit pour ces scientifiques de traquer les indices des toutes premières exploitations minières du massif mais aussi de mesurer l’impact des activités minières et métallurgiques sur la forêt dans le temps.

C’est dans ce contexte qu’ont été réalisées de manière expérimentale et avec succès l’analyse et la datation d’un ensemble de vestiges ligneux localisé dans les secteurs les plus reculés de ce labyrinthe souterrain qui développe plusieurs kilomètres de galeries et de chantiers: un travail d’expert et une coopération pluridisciplinaire avec deux laboratoires spécialisés dans la datation et l’expertise des bois anciens : le Laboratoire d'Expertise du Bois et de Datation par Dendrochronologie - LEB2d (C. Locatelli et D. Pousset) et le Laboratoire d’Archéologie Moléculaire et Structurale – LAMS (C. Lavier).

Le développement des analyses réalisées depuis les années 2000 sur les objets et les œuvres d’art à support-bois dans le cadre de programmes de recherche dirigés par le Laboratoire d'Expertise du Bois et de  Datation par Dendrochronologie - LEB2d  et au Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France, Paris – C2RMF d’abord puis au Laboratoire d’Archéologie Moléculaire et Structurale - LAMS ont permis de mettre au point des protocoles innovants, non invasifs, non destructifs et surtout intégralement mobiles, évitant aux objets même les plus petits d’être déplacés. Ces techniques et cette qualification particulières aux chercheurs de ces laboratoires ont été pour la première fois appliquées aux bois humides et gorgés d’eau (waterlogged woods), ne pouvant donc être étudiés qu’in situ et dans leur contexte.

Ce savoir-faire allié à une longue expérience dans le domaine de la dendrométrie, permet désormais d’étudier des bois qui présentent un faible potentiel dendrologique (nombre et qualité de cernes essentiellement) et qui sont systématiquement éliminés lors d’études dendrochronologiques aux seules fins de datation. Or ces vestiges chargés de traces et d’histoire, ont été conçus et utilisés par des artisans intentionnellement ou non ; ils renferment des informations souvent exceptionnelles tant sur l’objet lui-même que sur les techniques employées pour le façonner et doivent être analysés le plus finement possible. Enfin, ces prises d’informations doivent être susceptibles de « remplacer » ces artefacts qui restent sur place ou qui peuvent être amenés à disparaître. De tels relevés peuvent être manuscrits, macrophotographiques et complétés par des techniques liés à la photogrammétrie ou plus récemment par des techniques de scanographie surfacique. Comment dès lors analyser et dater de tels vestiges fragiles, gorgés d’eau et pour la plupart intransportables ? 

C’est pour expérimenter un tel dispositif et l’appliquer dans les conditions particulièrement complexes de l’environnement souterrain que les scientifiques ont choisi d’opérer au cœur du massif vosgien, au plus profond de ces anciennes mines. En fonction de leur état de conservation, plusieurs types de prises de données ont été réalisés in situ notamment par macrophotographies. Une échelle-poutre (kletterbaum) en bois monoxyle a fait l’objet de relevés morphologiques et plusieurs artefacts ont été soumis à une technique d’analyse similaire sur des essences aussi diverses que le sapin, le frêne, le hêtre ou l’orme.  Au total, une dizaine de bois ont été ainsi datés et intégrés dans la base de données. Ils attestent d’une activité minière quasi ininterrompue entre la fin du XVIe siècle et la fin du XIXe siècle.

Si les interventions in situ sont de plus en plus effectives dans les musées, les collections ou sur les sites archéologiques (terrestres, fluviaux ou maritimes) dont les bois sont extraits, il n’avait jamais été réalisé de telles prises de données dendrométriques en milieu souterrain. Les résultats des analyses archéo-dendrométriques permettent désormais de compléter le référentiel déjà acquis élargissant le spectre chronologique et détaillant la succession des évènements paléoclimatiques qui ont affecté le massif vosgien pendant plus de cinq siècles ; elles confortent surtout la pertinence et l’efficacité de telles analyses mises en œuvre sans atteinte à l’intégrité de l’objet : une performance et une technique qui devraient être développées à l’avenir sur d’autres sites archéologiques dans des contextes similaires..



Fig.01 Mines de la Grande Montagne. Haut-du-Them/Château-Lambert (70). Réseau de la Tête du Midi.  Dépilage ; vestiges de chantiers mobiles et de soutènement.



Fig.02 Mines de la Grande Montagne. Haut-du-Them/Château-Lambert (70). Secteur Saint Nicolas Supérieur. Echelle-poutre en bois monoxyle en cours d’étude.


Fig.03 Mines de la Grande Montagne. Haut-du-Them/Château-Lambert (70). Secteur Saint Nicolas supérieur. Travaux d’analyse archéo-dendrométrique in situ.


Fig.04 Mines de la Grande Montagne. Haut-du-Them/Château-Lambert (70). Secteur Saint Nicolas supérieur. Corps de pompe en bois (XVIIIe s.)


Fig.05 Mines de la Grande Montagne. Haut-du-Them/Château-Lambert (70). Secteur Saint Nicolas supérieur. Zone de stériles. Soutènement en place (Reprise XVIIIe).

Fig 06 Mines de la Grande Montagne. Haut-du-Them/Château-Lambert (70).Secteur Saint Georges – Salle des roues. L'exploitation minière consistait à vider un filon à partir de l'affleurement. Au fur et à mesure de l'enfoncement, il fallait évacuer l'eau qui envahissait les galeries. A l'origine, cette eau était remontée vers un travers-banc supérieur, la galerie Saint Georges, au moyen de pompes en bois mues par deux roues hydrauliques monumentales installées dans la mine. Ces roues d'un diamètre de neuf mètres étaient elles-mêmes actionnées par l'eau de plusieurs étangs endigués situés sur les crêtes. L'eau était acheminée par des canalisations en bois, puis par de larges gouttières taillées à la pointerolle dans le rocher. L’empreinte d’une de ces roues (aujourd’hui disparue) est encore visible ici dans la roche (partie supérieure de la photographie).


Fig.07 Mines et forêts… La mémoire du temps. Extrait de l’ouvrage « La Rouge Mine de Saint Nicolas » d’H Gross. (XVIe s.) L’illustration montre l’intérieur d’une mine vosgienne.

Illustrations – © Photographies Denis Morin 

Contacts chercheurs

Denis Morin
Laboratoire CNRS TRACES - UMR 5608

Travaux et Recherches Archéologiques sur les Cultures, les Espaces et les Sociétés.
Université de Toulouse II - le Mirail. Maison de la Recherche - 5, Allée Antonio Machado
F - 31058 TOULOUSE Cedex 09
denis.morin@univ-lorraine.fr
http://traces.univ-tlse2.fr


Catherine Lavier
Laboratoire d’Archéologie Moléculaire et Structurale LAMS 

UMR CNRS 8220-Université Pierre & Marie Curie
catherine.lavier@upmc.fr
www.umr-lams.fr


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