Les paysages du Massif du Carlit (Cerdagne, Languedoc-Roussillon, France)

Responsable
Romana HARFOUCHE (archéologue, TRACES)

Institutions partenaires
Ministère de la Culture et de la Communication
Centre National de la Recherche Scientifique

Collaborateurs
Pierre POUPET (pédologue et archéologue, UMR 5140 ASM, CNRS)
Tomasz GOSLAR (physicien, directeur du Poznan Radiocarbon Laboratory, Pologne)
Hervé VAQUÉ (tailleur de pierre, ETM)

Présentation générale

De 1985 à 2005, des recherches archéologiques, ethnologiques, historiques et paléobotaniques ont été conduites dans les Pyrénées, sur la montagne d'Enveitg, en Cerdagne (Massif du Carlit, Pyrénées-Orientales). Ces recherches pluridisciplinaires ont dessiné une évolution de l'anthroposystème montagnard depuis 7000 ans, mais en l'abordant essentiellement sous l'angle pastoral de l'estivage (sondages archéologiques dans les cabanes de bergers-vachers). Parallèlement, les pratiques et les usages de l'espace montagnard se confondant avec les pratiques et les usages de l'espace forestier, cette perception des paysages a singulièrement restreint les schémas de co-évolution nature-sociétés à une montagne réserve de bois, de gibier et d'herbe en relation avec le pastoralisme (défrichements et brûlis pastoraux dans les estives). Depuis 2003, des recherches transdisciplinaires où se croisent archélogie et science du sol, interrogent ce regard exclusivement sylvo-pastoral porté sur la montagne (photo 1 ci-dessous).

La terminaison du massif granitique du Carlit (Pyrénées-Oriental

Descriptif des résultats

L'approche pédoarchéologique a transformé la vision « pastoraliste » de l'espace montagnard, par la mise au jour et la datation de systèmes de terrasses bâties, indubitablement liés à une agriculture en montagne dès l'âge du Bronze, au IIe millénaire avant l'ère chrétienne, jusqu'à près de 2000 m d'altitude Un aspect des nouvelles méthodes d'investigations archéopédologi . Les résultats de cette recherche archéoagronomique novatrice sur la construction des paysages pour l'agriculture ont d'ailleurs largement inspiré d'autres archéologues et paléoenvironnementalistes qui s'interrogent à nouveau sur le statut de l'exploitation de la montagne à l'âge du Bronze. Il a également suffi d'un changement dans les méthodes d'investigation pour que l'unique grande structure connue de l'âge du Bronze soit mise au jour grâce au premier décapage un tant soit peu extensif effectué au Pla de l'Orri par l'engin mécanique requis pour les sondages pédoarchéologiques en 2003 (photo 2 ci-contre). Ce bâtiment semble plus évoquer un habitat rural qu'une cabane pastorale et pose la question d'une vraisemblable occupation permanente de la montagne à cette altitude.

Les champs construits en terrasses ne devaient pas être très éloignés de l'habitat, pour que les agriculteurs puissent soigner la croissance végétale et protéger la future récolte des prédateurs. Des fermes de l'âge du Bronze installées dans la montagne ont donc pu exploiter durablement des espaces complémentaires allant des champs étagés entre 1700 et 2000 m aux pelouses d'altitude pour les troupeaux, en passant par une forêt largement ouverte par des clairières. D'autres phases de mise en valeur agricole des versants bâtis ont pu être mises en évidence récemment. Elles permettent de reconsidérer la place des espaces d'altitude au sein des systèmes agricoles des sociétés préindustrielles, singulièrement à l'époque romaine (photo 3 ci-dessous).

L'emboîtement des murs de terrasses sur une soulane du Carlit

En lieu et place de l'image idyllique de pâturages paisibles, de sociétés à évolution lente et d'une exploitation quasi exclusivement pastorale de la montagne, on commence à cerner des communautés agricoles dynamiques, où les aménagements des pentes et la protection des sols et des récoltes apparaissent la norme, tandis que la compétition entre agriculture et élevage rend compte des différentes introductions de techniques nouvelles. En ce sens, une véritable approche anthropologique du passé de la montagne s'ouvre maintenant, où devraient s'imposer les concepts de temps et d'espaces agricoles. Ces espaces construits pour l'agriculture traditionnellement relégués aux zones basses dans les reconstitutions paléoenvironnementales occupent désormais une place privilégiée. Il est en tout cas bien fini le temps où la montagne n'était qu'un espace marginal où les activités humaines à une altitude supérieure à 1000-1500 m étaient limitées à une exploitation « de surface », « précaire », temporaire ou occasionnelle, notamment durant les périodes d'amélioration climatique, d'insécurité généralisée ou de grave crise démographique et économique (« faim de terre »).

Bibliographie

Sous presse - Romana HARFOUCHE, “Une agriculture à haute altitude dans la montagne méditerranéenne. Regards pédoarchéologiques sur le Massif du Carlit (Pyrénées-Orientales, France)”. Du Mont Liban aux Sierras d'Espagne : sols, eau et sociétés en montagne. Autour du projet franco-libanais CEDRE "Nahr Ibrahim". Textes réunis par R. Harfouche et P. Poupet, BAR International Series, Archaeopress, Oxford.

2013- Romana HARFOUCHE, Pierre POUPET, “La montagne méditerranéenne dénudée ou l’inculte imaginaire”. Revue du Nord, collection Art et Archéologie, Hors Série 18, 2013, p. 101-113.

2010- Romana HARFOUCHE, “Agriculture en terrasses à haute altitude au cours de l’Âge du Bronze dans les Pyrénées orientales (Massif du Carlit)”. Actes des Septièmes rencontres méridionales de Préhistoire récente, Lyon (France), novembre 2006, Documents d’Archéologie en Rhône-Alpes et en Auvergne, 34, 2010, p. 125-145.

2007 - Romana HARFOUCHE, “Soil care and water management on mediterranean slopes : an archaeopedological approach”. Arqueología Espacial, Espacios Agrarios, 26 (2006), éditions du Seminario de Arqueología y Ethnología Turolense (Universidad Zaragoza) et de l’Instituto de Historia du CSIC (Conseil supérieur de la recherche scientifique, Madrid), Zaragoza, 2007, p. 311-339.

2005 - Romana HARFOUCHE, “Retenir et cultiver le sol sur la longue durée : les terrasses de culture et la place du bétail dans la montagne méditerranéenne”. Anthropozoologica, 40 (1), 2005, p. 45-80.

 

Mise à jour : octobre 2014